noel bourgue

L’incroyable parcours d’un serveur sourd et muet

Noël Bourgue, 48 ans, sourd, a pu bénéficier de la formation de serveur à l’école hôtelière d’Avignon. C’est inédit en France et ça a changé sa vie.

« Comme beaucoup de sourds, j’étais professeur de langue des signes française », introduit Noël Bourgue. En 2014, il rencontre un ami restaurateur, du Bistrot Chez Antoine à Avignon,  qui l’initie au service, au bar et à la relation client. « Un jour, il m’a même proposé de tenir le bar pour essayer. C’était la révélation. J’arrivais à me faire comprendre des clients. J’ai même échangé en langue des signes avec eux », se souvient Noël. Il a donc pris la décision de contacter Cap Emploi, une association pour personnes handicapées en recherche d’emploi. Il a travaillé ainsi aux Trois Brasseurs au Pontet « afin d’assurer mon projet professionnel », raconte-t-il.

Le directeur adjoint de l’établissement m’a poussé à faire une formation en hôtellerie-restauration. 

En septembre 2015, Noël Bourgue intègre la formation continue de l’Ecole Hôtelière d’Avignon. Et pas de traitement de faveur pour lui. « Je lui ai dit qu’il serait traité comme tout le monde », précise son formateur-enseignant en restauration-hébergement, Frédéric Sinoquet. « Pour les cours théoriques, il y avait un interprète, pour les travaux pratiques, on se servait d’un tableau », évoque son formateur.

Noël Bourgue s’est rapidement imposé comme un modèle pour les autres élèves. Il les a boostés.

Il a montré qu’on pouvait y arriver malgré le handicap. Pour moi, ça m’a fait modifier mon enseignement. Et je me suis rendu compte d’une chose : ce n’est pas parce que j’expliquai que j’étais compris », se rappelle Frédéric Sinoquet. Il ajoute : « Noël a eu un temps d’adaptation, puis il s’est très bien intégré. » « J’avais de très bons rapports avec mes collègues de formation. On était dans l’échange, le conseil. Il y avait aussi beaucoup de jeux de mots et de jeux de signes », se souvient Noël Bourgue. « Je n’ai jamais relâché mon exigence  envers Noël et ça a payé. Il a terminé major de sa promotion », se réjouit Frédéric Sinoquet. « Ses atouts : il maîtrise bien, il est à l’écoute, il anticipe sans avoir besoin de parler aux clients, il aime les gens profondément, il est méticuleux, il est très appliqué et il fédère autour de lui. Ses faiblesses : il est en retard et un peu bougon quand il n’y arrive pas. Au fond, il a des mauvais jours comme tout le monde », décrit son formateur.

Le diplômé enchaîne ensuite les boulots : dans l’hôtel-restaurant 4 étoiles Macchi à Châtel en Haute-Savoie, dans un restaurant à Saint-Pée-sur-Nivelle dans le Pays basque, dans l’hôtel-thalasso de Serge Blanco à Hendaye et au Milady Beach à Biarritz. « Pour me faire comprendre du chef parfois je lui montrais où les clients en étaient sur le ticket et parfois j’appuyai sur une tablette pour lancer le plat suivant, tout dépendait du restaurant. Pour le client, tout passait par le regard, j’étais très attentif. Car dans un restaurant tout est très visuel », révèle Noël Bourgue.

« Dans ma carrière, j’ai toujours été très motivé. Mais c’est vrai que quand j’envoyai mon CV, parfois, des entreprises m’accueillaient avec beaucoup de réserve. Elles me demandaient : Comment on allait communiquer ? Comment ça allait se passer ? Certaines entreprises ont encore beaucoup de préjugés. J’essayais de répondre à leurs questions, de les rassurer, mais rien n’y faisait », regrette Noël Bourgue. « Il a donc changé sa façon d’aborder les entreprises, et puis il s’est construit une bonne réputation. Tous les patrons chez qui il a travaillé m’ont rappelé en me disant tout le bien qu’ils pensaient de Noël », affirme son formateur.

Après une année peu ordinaire placée sous le signe du coronavirus, Noël Bourgue continue à construire son projet.

« D’ici trois ans, j’aimerais créer mon propre restaurant en langue des signes pour que les personnes entendantes et sourdes puissent se rencontrer. On appelle ça un café signes. On ne s’exprimera qu’avec la langue des signes. Pour que les personnes entendantes puissent dire s’il vous plaît, il me faut de l’eau… Elles vont devoir s’approprier la langue des signes. » Et il conclut : « Je suis un arbre, les racines sont mes acquis de formation, le tronc mes compétences et expériences acquises et le panache est mon avenir. Les bourgeons seront mon futur restaurant. »